Le 11 avril, l’Usine accueillait un repas partagé et une soirée rétrospective l’histoire industrielle de la vallée et de l’usine elle-même. Pour remonter dans le temps, Jacques Mouriquand et Janka Kaempfer de Vidéo Val de Drôme nous ont parlé de l’arrivée des usines à la campagne, et Marie-Françoise et David Sitbon (propriétaires de l’usine et ancien directeur de la société Salmson) étaient présents pour nous parler de l’Usine depuis la fin des années 80.
À eux se sont joints plusieurs anciens de la société Salmson, venus témoigner !

Tout commença avec les vers à soie

Pour retracer l’histoire industrielle de la Drôme, il faut remonter au 19ème siècle.
Une des ressources principales du territoire de la Drôme ? L’eau. Et donc, la force motrice.
La Drôme est un territoire très rural, qui se dote de canaux avec des roues à aube. Livron, plus proche de la vallée du Rhône, en développe par exemple 50 kilomètres !
Au départ, ces canaux servent au bon fonctionnement des moulins à grain.
Progressivement, ils se bordent de petites filatures de soie, de scieries, de taillanderies (fabrique d’outils).

L’arrivée de la soie
A propos des canaux Livronnais, on peut lire :

Dès le milieu du 18ème siècle de nombreuses filatures industrielles s’installent dans les vallées à proximité des rivières. Une importante ressource en eau s’avère indispensable pour le traitement des cocons, pour les roues à aubes puis, plus tard pour les machines à vapeur. Ces usines emploient une nombreuse main d’œuvre féminine. […] On peut admirer tout au long de la Vallée de la Drôme, de gigantesques bâtiments témoins de l’industrie de la soie.

Dans cette vidéo du Musée de la Soie à Taulignan, on voit à quel point l’industrie de la soie requiert déjà des machines et une mécanique complexe.

Il y a quatre étapes dans la culture des vers à soie et la transformation en la matière que nous connaissons aujourd’hui :

  • L’élevage du ver à soie, le «Bombyx du mûrier», de l’éclosion de la graine à la naissance du ver, jusqu’à sa transformation en papillon. Cette activité se réalisait autrefois dans des Magnaneries dont le nom vient de «Magnan» (qui signifie gourmand en provençal).
  • La filature. Elle consiste à dévider le cocon afin d’en tirer le fil de soie. Avec l’invention de la machine à vapeur (1769) les métiers à filer se modernisent, la filature devient une activité industrielle.
  • Le moulinage. C’est l’étape fondamentale qui va permettre de rendre le fil de soie utilisable pour le tissage. Il consiste à tordre le fil sur lui-même afin d’augmenter la résistance et en changer l’aspect. Il permet de réaliser différents types de fils comme le voile, l’organsin, le crèpe ou la grenadine…
  • Le tissage. Entrelacer les fils pour obtenir différentes étoffes : la mousseline, le taffetas, le crêpe, le velours, le satin.

Au 19ème siècle, ce sont un moulinage de soie et une fabrique de billes de pierre qui font vivre Cobonne, par exemple. La magnanerie de Saillans existe encore, elle ne se visite plus mais abrite aujourd’hui un restaurant.

Croquis de Fafah Togora

L’arrivée des usines à la campagne

Agriculture et mécanique : des liens évidents
La Drôme est avant tout un territoire rural, et qui dit ruralité dit inventivité mécanique et bricolage avec les moyens du bord. C’est cette dimension-là, doublée de la présence d’eau en abondance, qui permet à la Drôme d’accueillir progressivement une activité industrielle, textile entre autres.
Sur place, la main d’œuvre a déjà des connaissances en mécanique ou peut rapidement se mettre à la page.

Avec le XXème siècle arrive la commercialisation de l’automobile (vers 1919), et l’essor de l’aviation (premier trajet Montélimar-Dieulefit en 1910).
Un basculement de plus s’opère lorsque les machines débarquent dans les champs et dans les vignes (voir Le jour où le tracteur arriva de Vidéo Val de Drôme).

Croquis de Fafah Togora

La société Salmson et son arrivée à Crest

« Des hommes, des performances pour la qualité »

La société Salmson est fondée par Emile Salmson en 1889 et démarre sous la forme d’un atelier spécialisé dans le domaine des pompes et des machines à vapeur. Peu de temps après, elle se spécialise dans la fabrication de moteurs, notamment pour l’aviation et l’aéronautique. Ses ateliers sont à Boulogne Billancourt.

« Des moteurs reconnus pour leur fiabilité,
Des moteurs performants, détenteurs de records historiques et mondiaux »

Croquis de Fafah Togora

En 1940, pendant la guerre, Crest est en zone libre.
L’entreprise, jusqu’alors implantée en région parisienne, choisit la Drôme déplacer ses activités et y lancer un atelier de fabrication spécialisé. Salmson produit des voitures élégantes et luxueuses, dont cette vidéo en témoigne :

Mais sa spécialité, avant tout, ce sont des pièces bien spécifiques (des engrenages) produits entièrement ici, ce qui n’était pas commun à l’époque.

Les clients sont des usines textiles, dans l’électro-mécanique, le domaine médical ou encore l’aéronautique (dans les carnets de commande, il y a Dassault, Ratier-Figeac…). Certaines pièces complexes peuvent mettre plusieurs mois à produire, et c’est pour sa spécialisation, sa certification et son contrôle de la qualité que les clients viennent voir Salmson.

C’est la Guerre du Golfe qui fait plonger le carnet de commandes. A cette époque, le commerce international ralentit, une crise de confiance s’installe. Salmson, qui au début des années 90 embauche 50 personnes à Crest, voit son équipe se réduire pour ne comprendre plus que 15 employé-es. Ce n’est qu’en 95-96 que l’équipe s’étoffe à nouveau et atteint 35 personnes pendant une bonne dizaine d’années, puis cesse son activité en 2013.

Croquis de Fafah Togora

Pour conclure

Nous avons discuté du devenir des machines après la fermeture de l’Usine. David nous a dit qu’elles ont toutes été vendues aux enchères après la fermeture.

Il y avait une curiosité sur l’ambiance générale dans l’Usine, la manière d’estimer son temps de travail (pas de système de « pointage ») et l’impact de l’arrivée du numérique.
Sur ce dernier point, les anciens de Salmson étaient nombreux à s’accorder pour dire que personne n’était devenu un « presse-bouton », tant leur carnet de commande était plein de pièces complexes à réaliser, chacune avec ses spécificités et son parcours de fabrication singulier.

Merci à toutes celles et ceux qui sont venus apprendre et transmettre leur(s) savoir(s)!

 

Croquis de Fafah Togora